samedi 26 décembre 2009

Jour 5 : témoignage de Safah

Safah est la nièce de Naji, elle nous a parlé de ce qui est arrivé a sa famille le soir au centre d'hébergement d'Al-Feineq (le phénix, celui qui renaît de ses cendres). Le texte qui suit est un ensemble de notes prises pendant sa "présentation" qui a dure environ une heure. Safah a 23 ans. Elle habite dans le camp de Deisheh.


Son village d'origine se trouve tout près de Jérusalem. Elle travaille dans un jardin d'enfants et également avec des handicapés. Elle vit avec sa famille (parents, frères et soeurs), elle est la plus jeune. Un de ses frères est un "martyr" palestinien et l'autre a été transféré à Gaza suite à l'épisode de l'église de la Nativité en avril 2002. Un autre frère a été blessé au niveau de la jambe et ne peut plus marcher normalement. Malgré ses blessures, la vie continue quasi normalement, il est marié et a des enfants. Son 2ème frère a été blessé au visage lors de la première intifada, il a des séquelles. Son premier frère "martyr" a été tué par les Israéliens pendant la seconde intifada mais avant, il a été blessé plusieurs fois. Une des fois, il a quasiment perdu son oeil et a pu récupérer la vue à l'aide d'opérations chirurgicales. Entre la première et la seconde intifada, il a mené beaucoup d'actions (politiques). Une fois, il a préféré ne pas rester se faire soigner à l'hôpital : il en est sorti prématurément (en courant !) pour continuer la lutte.
Lors de la seconde intifada, lorsque Sharon a visité la mosquée Al-Aqsa (l'esplanade des mosquées), il a suivi les combattants palestiniens qui utilisaient de vraies armes au lieu de lancer des pierres. Leurs parents ont essayé de les "calmer" afin qu'ils fassent des choses moins violentes et qu'ils puissent continuer à vivre normalement. Mais le fils leur a dit que c'était son choix. Pendant cette période, il a dû se cacher, on ne le voyait pas beaucoup, il passait rapidement pour se laver ou manger. Il a décidé d'agresser les colonies israéliennes (que nous avons vues aujourd'hui) mais lui et ses camarades ne savaient pas que les colonies étaient équipées de caméras de surveillance. Ils ont atteint la colonie et les soldats israéliens leur ont tiré dessus. Un des camarades a été blessé et leur a dit qu'ils devaient le laisser et se sauver car il savait qu'il allait mourir. Après que son copain soit mort, le frère est allé chez son oncle Naji (qui est là avec nous) couvert de sang. (Naji arrête de traduire, Alia prend le relai).
Sa mère ne dormait pas, elle avait un mauvais pressentiment, ils ont attendu le lendemain matin, le sang coulait. Son oncle lui a dit : il ne faut pas lui poser de questions, le laisser tranquille, ils ont appris après que son copain était mort pendant l'opération. Après cet accident, il n'avait plus de goût pour la vie, il a seulement voulu venger son copain (il aurait pu se marier etc.). Ensuite les militaires israéliens sont venus le chercher mais il était tout le temps caché, ils ne le trouvaient pas. Les militaires venaient tous les jours à n'importe quel moment chez eux, ils faisaient exploser des bombes, ils tapaient son père. La famille (parents, filles) ne se mettaient plus en pyjama etc. Le groupe de son frère oa organisé un attentat suicide qui a provoqué la mort de 24 personnes. A partir de là, son frère a figuré dans la liste des personnes non pas seulement à rechercher mais à tuer. La famille a vu que ce frère était plus serein car il avait eu en quelque sorte sa vengeance. Quand les Israéliens ont attaqué les camps en 2002 (Jenine etc.), ils se sont préparés à ce que les Israéliens rentrent à Deisheh. Les Israéliens sont arrivés avec 3 chars énormes aux 3 entrées du camp, des chars de taille démesurée par rapport aux entrées et aux armes des Palestiniens. Le jour J (de l'invasion), le frère a à peine mangé, il est parti et sa famille ne l'a plus revu. L'attaque des Israéliens était tellement énorme que les habitants ont quitté le camp, ils ne pouvaient rien faire. Seul le groupe de son frère est resté (sinon qui va défendre le camp ?). Le petit groupe de son frère était dans une voiture avec des bombes artisanales. Une partie du groupe a dit qu'il allait faire sa prière. Deux personnes sont restées dans la voiture : son frère et un copain. Les portières étaient ouvertes. Ils avaient les jambes à moitié dehors. Ils ne s'attendaient pas à ce que les Israéliens attaquent avec des avions . Une bombe  a été larguée, qui a explosé très fort dans la petite rue où se trouvait la voiture. Les copains survivants sont allés voir la famille pour leur annoncer qu'ils étaient morts. Ils ont retiré les corps qui étaient très abîmés, ils les ont apportés à la mosquée en les enveloppant. Les Israéliens sont rentrés dans le camp, ils ont chassé tout le monde sauf les femmes et les enfants. Dans les haut-parleurs, les israéliens ont demandé à tous ceux qui avaient plus de 14 ans de sortir. Enfants rassemblés, yeux bandés, vetements enlevés. Les Israéliens rentraient dans les maisons non pas en ouvrant les portes mais en défonçant les murs et passaient ainsi de maison en maison. Les habitants Palestiniens ne s'asseyaient plus contre les murs mais au centre de la pièce. Les soldats Israéliens ont nargué sa famille, ils disaient que c'était que c'était bien que son frère soit mort, fils rappaient son père malade, ils se maquillaient le visage pour leur faire peur dans le noir (il n'y avait pas d'électricité). Le jour de l'enterrement, il y avait 5 personnes (3 de Deisheh et 2 de Aida), les Israéliens ont encerclé le camp, ils les ont empêché de sortir mais malgré ça, ils ont pu les enterrer. En revenant, ils ont pris les jeunes du camp et les ont enterrés, c'était une journée très dure. Après, son petit frère qui au final a été expulsé vers Gaza a repris les activités de son frère pour poursuivre la résistance. Les israéliens ont fait une opération éclair (bulldozers etc.) sur le camp de Deisheh, ont encerclé les gens qui se sont réfugiés dans l'église de la Nativité. Les soldats israéliens ont tiré vers l'intérieur de l'église depuis son toit.
Ensuite, il y a eu des négociations entre Américains, italiens, espagnols etc. : après 45 jours de siège, 13 personnes ont été envoyées en Europe, 23 à Gaza dont son frère (il avait 16 ans). Pendant le siège, ils ne mangeaient pas mais de temps en temps ils appelaient leurs familles et leur disaient pour les rassurer qu'ils avait de quoi manger et que tout allait bien. La famille était encore en plein deuil du frère mort, deuil qu'ils n'ont pas pu faire avec ce qui arrivait à son petit frère.
Cela fait 8 ans qu'il est parti à Gaza, il a fondé une famille, il a eu une petite fille et attend un enfant. C'était un adolescent et maintenant c'est un homme. La famille a demandé plusieurs autorisations aux Israéliens d'aller à Gaza mais ils sont fichés et les israéliens leur ont dit qu'ils n'auraient jamais le droit. Les autorités palestiniennes ont voulu les aider et leur ont proposé d'aller au pélerinage à la Mecque. Ils étaient tout contents, ils se préparaient. Puis les autorités palestiniennes leur ont dit qu'ils ne pouvaient pas y aller tous les deux (le père et la mère). Le père y est allé pendant 20 jours. Le père était tout malheureux quand il est revenu car il s'était habitué à son fils et la mère était triste car elle n'avait pas vu son fils. Maintenant ils ont en contact par téléphone, c'est la seule façon pour eux de rester en contact.

La famille ne compte plus sur les autorités pour régler les problèmes, ils se tournent vers Dieu et sont patients, espèrent. Chaque année pour Noël, les mères dont les enfants ont été envoyés au loin viennent avec des photos pour que le président (M. Abbas) puisse les rapprocher. Elle nous remercie beaucoup de l'avoir écouté, d'avoir écouté son histoire. Elle parle au nom de tous les Palestiniens qui sont séparés, qui subissent des humiliations etc.
Aujourd'hui, Naji a fait appel à sa famille, à sa nièce, à sa soeur qui a un fils blessé, pour qu'ils témoignent et parce-qu'ils sont représentatifs de la Palestine...

Raphaël

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